Le mort somnambule
Une pièce de théâtre burlesque par Luc Boulanger
Les personnages
M. Chevrette : Le mort
Mme Chevrette : La femme du défunt
Corinne : Une petite fille membre des guides
Mme Ragaut : Une voisine
Tante Imelda : La tante de Mme Chevrette
Le cordonnier
Décors
M. Chevrette est dans un cercueil que l’on dispose le plus possible à la verticale. Quelques lampions peuvent ajouter une atmosphère mystérieuse.
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Présentateur(trice) : Autrefois, la plupart des morts n’étaient pas exposés dans un salon funéraire. Avant de les mettre en terre, on veillait le corps plusieurs jours, c’est-à-dire qu’on l’exposait à la maison afin d’accompagner le défunt dans son ultime voyage. Le riche mari de Mme Chevrette est décédé et voilà que celle-ci a bien hâte de profiter de sa nouvelle liberté…
Scène 1 de cette pièce de théâtre burlesque : Mme Chevrette veille son mari
Mme Chevrette est assise à côté de son mari. Elle tient un petit mouchoir sur ses yeux et elle pleurniche.
Mme Chevrette : Mon beau Gérard. Pourquoi es-tu parti si rapidement ? Ma vie sera vide sans toi. Jamais un autre homme ne pourra te remplacer.
Le téléphone sonne. Mme Chevrette se lève et va répondre.
Mme Chevrette qui devient tout à coup souriante: Henri, bonjour ! Ah ça va très bien ! Disons que dans les circonstances, ça va très bien… Si je suis occupée cet après-midi ? Mais je suis en train de veiller le corps de mon mari… Vous m’invitez au restaurant… Alors là, je ne sais pas. C’est un peu tôt… Vous avez raison, je peux sûrement trouver une solution. À 13h au Café des lilas, j’y serai. C’est bien. Au revoir Henri.
Mme Chevrette raccroche le téléphone.
Mme Chevrette : Ne t’inquiète pas Gérard, tu ne resteras pas seul. Je vais trouver quelqu’un pour te tenir compagnie.
Scène 2 : Corinne veille le mort
Tout d’un coup, on sonne à la porte.
Mme Chevrette : Ah ! Mais nous n’attendons personne. À cause de ta constante mauvaise humeur, nous n’avions aucun ami. Qui ça peut bien être ?
Mme Chevrette va répondre. Corinne apparaît. Elle est vêtue de l’uniforme du mouvement des scouts et guides.
Corinne : Bonjour Madame, je m’appelle Corinne et je fais partie des guides de la paroisse Saint-Joseph-du-Sacré-Coeur-Immatriculé de-la-Vierge et je vends des barres de chocolat pour financer mon camp d’été.
Mme Chevrette : Non merci, ma belle, je ne suis pas intéressée.
Corinne : À chaque barre que je vends, un don de 25 cents (ou autre devise) est versé aux enfants pauvres. De plus, si je vends mes 40 barres, je pourrai obtenir le badge « Bonne action ».
Mme Chevrette : Désolée. J’ai trop de soucis.
Corinne : Bonne journée Madame. Je vous souhaite de régler vos soucis.
Corinne se tourne pour partir.
Mme Chevrette : Attends, tu pourrais peut-être m’aider.
Corinne : Les guides sont toujours prêtes à aider leur prochain.
Mme Chevrette : Si je t’achète une de tes barres, est-ce que tu accepterais de veiller le corps de mon mari ?
Corinne : Veiller le corps de votre mari ?
Mme Chevrette : Oui, je dois m’absenter et quelqu’un doit rester avec lui.
Corinne : C’est que… j’ai pas mal beaucoup peur des morts moi.
Mme Chevrette : Et si je t’achète cinq barres de chocolat ?
Corinne : Seulement cinq barres ! Mais, c’est que je dois les avoir toutes vendues avant la fin de l’après-midi pour obtenir mon badge.
Mme Chevrette : Très bien, alors je t’achète tes quarante barres si tu acceptes de veiller mon Gérard tout l’après-midi.
Corinne : Mes quarante barres. Cool ! Vous avez beaucoup d’argent Madame !
Mme Chevrette : Disons que mon mari avait de très bonnes assurances.
Corinne : Pourquoi il est mort votre mari ?
Mme Chevrette : Il est décédé d’une crise cardiaque. On l’a retrouvé couché sur son bureau.
Corinne : Qu’est-ce que je dois faire ?
Mme Chevrette : Tu t’assoies sur cette chaise.
Corinne : C’est tout ?
Mme Chevrette : Oui.
Corinne : Est-ce que vous me payez mes barres tout de suite ?
Mme Chevrette : Combien tu les vends ?
Corinne : Deux dollars (ou autre devise).
Mme Chevrette : Tiens, je te paie la moitié et le reste à mon retour.
Corinne : Est-ce que je vais pouvoir en manger une en attendant ?
Mme Chevrette : Mange toutes celles que tu veux. Le chocolat me fait engraisser. Je pars à l’instant. Sois sage et surtout ne touche à rien.
Corinne : Pas de problème Madame.
Mme Chevrette est sur le point de quitter.
Corinne : Merci madame, grâce à vous, je suis certain d’obtenir le badge « Bonne action ».
Mme Chevrette : C’est bien, au revoir !
Corinne est seule avec le mort. Elle reste un temps sans rien dire.
Corinne : C’est ennuyant et j’ai un peu peur moi. Colette, notre animatrice, nous dit toujours de chanter quand on a la frousse.
Corinne se met à chanter « Le joyeux promeneur » ou une autre chanson de camp d’été.
Corinne : Par les sentiers, sous le ciel bleu, j’aime à me promener. Le sac au dos, le cœur joyeux, je me mets à chanter…
Le mort : Quand on veille un mort, on ne chante pas.
Corinne : Quoi ? Il me semble que j’ai entendu quelque chose. Ça doit être mon imagination.
Elle tremble de tout son corps.
Corinne : Je vais continuer à chanter : Feu, feu, joli feu, ta chaleur nous réjouit. Feu, feu, joli feu, monte dans la nuit…
Le mort : Quand on veille un mort, on ne chante pas.
Corinne a de plus en plus peur. Elle crie.
Corinne : Mais, est-ce que le mort parle ? C’est impossible. Corinne, il faut que tu te calmes, prends de bonnes respirations. Pense à ton badge « Bonne action ».
Corinne se remet à chanter.
Corinne : Ils ont rêvé de parcourir les mers, ils ont rêvé de courir les pays…
Le mort : Quand on veille un mort, on ne chante pas.
Corinne en criant: Je n’en peux plus. J’aurai mon badge une autre fois ! Aaaahhhhh !
Elle se sauve avec les barres de chocolat.
Scène 3 de cette Pièce de théâtre burlesque : Mme Ragaut veille le mort
Mme Chevrette revient.
Mme Chevrette : Quel agréable goûter avec Henri. Il veut m’amener au bal ce soir. Je dois donc aller faire les courses. (Elle regarde partout) Mais où est la petite ? Elle s’est poussée avec les barres et mon argent. Petite fripouille ! Elle m’a bien eue. En plus, il faut que je me trouve quelqu’un d’autre pour veiller mon Gérard.
À ce moment, on sonne à la porte. Mme Chevrette va répondre. C’est Mme Ragaut qui arrive.
Mme Chevrette : Ah ! Madame Ragaut. C’est vous !
Mme Ragaut : Ma pauvre Madame Chevrette, comme je vous plains. Je ne voudrais pas être à votre place. Je viens pour vous aider. Entre voisines, il faut s’entraider.
Mme Chevrette : Justement, vous tombez bien. Il faudrait que j’aille au marché. Je n’ai plus rien dans mon garde-manger. Je veille mon Gérard depuis hier.
Mme Ragaut : Allez faire vos courses, je vais veiller votre pauvre mari. Vous pouvez compter sur moi et ma discrétion, chère madame.
Mme Chevrette : Merci ! Je ne devrais pas être trop longue. Au revoir !
Mme Chevrette part.
Mme Ragaut : Prenez tout votre temps !
Aussitôt que madame Chevrette a quitté, Mme Ragaut, en bonne commère, regarde un peu partout pour espionner. Elle prend ensuite le téléphone et compose un numéro.
Mme Ragaut : Paulette, c’est Ginette, Ginette Ragaut. Devine où je suis ? Chez la mère Chevrette. T’avais raison, depuis que son mari est mort, elle mène la grande vie. Tout à l’heure, elle m’a dit qu’elle allait faire des courses au marché. J’ai vérifié dans son garde-manger et il est plein à craquer.
Le mort : Quand on veille un mort, on ne parle pas au téléphone.
Mme Ragaut qui se retourne : Il y a quelqu’un ?
Elle hausse les épaules.
Mme Ragaut : Ça doit être la radio.
Elle reprend la conversation.
Mme Ragaut : Elle m’a demandé de veiller son vieux grincheux de mari. Qu’est-ce qu’il était casse-pied ! C’est vrai, il était riche, mais aussi avare qu’un rat. On raconte qu’il a eu un malaise après avoir lu l’état de compte des dépenses de sa femme. Ah ! Ah !
Le mort : Quand on veille un mort, on ne parle pas au téléphone.
Mme Ragaut : Mais qu’est-ce que c’est ? Attends un peu.
Mme Ragaut va vers la radio et tourne quelques boutons. Elle décide de la débrancher.
Mme Ragaut : Désolée ! J’ai dû débrancher la radio. Je crois qu’elle s’emporte. Tu as raison. La mère Chevrette devrait être vêtue de noir et porter le deuil, mais au lieu de ça, elle joue la veuve joyeuse. Ah ! Mais son mari n’était pas mieux. Des rumeurs couraient à son propos… Ils auraient eu plusieurs jeunes maîtresses.
Le mort sur un ton plus grave: Quand on veille un mort, on ne parle pas au téléphone.
Cette fois, Mme Ragaut a vu le mort s’exprimer. Elle ouvre la main et laisse tomber le téléphone.
Mme Ragaut : Un fantôme ! Les morts viennent me hanter ! Au secours !
Elle part en courant.
Scène 4 : Tante Imelda veille le mort
Mme Chevrette revient avec des sacs.
Mme Chevrette : Mme Ragaut ! Mme Ragaut ! Êtes-vous là ? (Elle regarde un peu partou). On ne peut jamais compter sur personne. Il va falloir que je trouve quelqu’un d’autre.
La sonnette retentit de nouveau. Mme Chevrette dépose ses sacs et va répondre. C’est Tante Imelda. Elle a une valise.
Mme Chevrette : Tante Imelda !
Tante Imelda : Bonjour ma belle Joséphine !
Mme Chevrette : Joséphine, c’est ma mère. Moi, c’est Catherine.
Tante Imelda : C’est ça, Joséphine !
Mme Chevrette : Non, moi, c’est Catherine !
Tante Imelda : Qu’est-ce que tu dis ?
Mme Chevrette : Ce n’est pas important. (Au public) Elle est sourde comme un pot.